Al Held, Siena, 1990, acrylique sur toile. 121x213cm ©Courtesy André Emmerich Galley, NewYork
La perte de la totalité est souvent déplorée dans le monde moderne. De l’« haussmannisation » de Paris, dans la seconde moitié du XIXe siècle, à la prolifération étourdissante des réseaux informatiques, à la fin du XXe siècle, les vieilles certitudes et harmonies semblent se défaire continuellement. Mais là où s’exerce une force, s’exerce aussi la force contraire. Il s’agit d’abord de la rhétorique politique : le désir de revenir à ce qui est perçu comme la perfection et la stabilité du passé est commun aux positions conservatrices et aux diverses formes de nostalgies pastorales. Il s’agit ensuite de la culture, qui travaille à remplacer des logiques sociales instables par d’autres qui paraissent plus durables. L’accueil réservé à la psychologie freudienne en fournit un bon exemple. Elle fut accueillie à des degrés divers comme la nouvelle explication du comportement irrationnel qui semblait à l’œuvre dans la majeure partie de la vie moderne. C’était comme si tous partageaient le sentiment qu’il existe une relation bi-univoque entre le conscient et l’inconscient. L’insatisfaction et le désarroi étaient redéfinis comme des maladies et, dans la vision mécaniste du monde moderne, à chaque mal son remède. Il y avait peut-être besoin d’un guide psychanalytique mais, à force de travail, chacun pouvait découvrir les correspondances exactes et restaurer son être total. Au lieu d’être perdu, désuet, sans prise sur les difficultés d’aujourd’hui, le passé (l’enfance, en particulier, dépositaire de l’unité dont on garde le souvenir) se trouvait sorti de la nostalgie et se voyait attribuer une place active et signifiante dans la vie. Le passé avait, pour ainsi dire, un emploi.
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Richard Kalina - Un fauteuil inconfortable: abstraction et décoration (Fr)