Norman Bluhm, Siberian Chant, 1993, huile sur toile. 243x358cm ©Courtesy Ace Gallery, NewYork
A-t-on jamais noté que, bien que l’Expressionnisme abstrait ait emprunté au Surréalisme avec le succès que l’on sait, sa dimension sexuelle a été plus ou moins occultée ? Quand ont été greffées des pratiques surréalistes comme l’automatisme sur le terreau new-yorkais, elles ont été élaguées de leurs propriétés érotiques (leurs préoccupations politiques aussi, mais c’est une autre histoire). Dans l’art abstrait new yorkais des années 40, alors en plein essor, il n’y a guère que dans l’œuvre d’un De Kooning (sur lequel nous reviendrons) et, dans une moindre mesure, dans celle de Gorky que la volonté de s’attaquer au corps sexué subsiste. Le désir surréaliste mis de côté, on trouve, chez Rothko, une recherche, non de la sensualité, mais d’expériences de migrations de l’âme et dans les tableaux de Franz Kline, une destructuration vigoureuse, conflictuelle et urbaine dont il est probable qu’elle pulvérise plus le corps qu’elle ne le caresse. Même dans les tableaux de Pollock, qui fait un tel usage chorégraphique de son corps, l’œuvre n’aspire pas au royaume d’Éros mais tend à un univers visuel de décomposition posthume, dans lequel le corps se métamorphose en un réseau d’éléments nutritifs et de fibres. Les « secrets métaphysiques », selon la formule de Barnett Newman, que les Expressionnistes abstraits recherchaient, n’étaient pas les secrets du corps mais, pour citer une fois encore Newman, « le mystère du monde » (quel qu’il soit).
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Raphaël Rubinstein - Le Retour de l'Erotique (Fr)