Entrée de l'exposition "La peinture est presque abstraite". Le transpalette, Bourges, 2009
Il y a de cela une dizaine d’années, on m’a présenté un peintre à Mexico. Il m’a raconté s’être engagé dans un projet dédié à la création d’un musée d’art abstrait. Au cœur même de Mexico, le bâtiment qui allait abriter le futur musée serait une prison désaffectée. Les cellules feraient office de galeries accueillant différentes « facettes » des pratiques et des genres de l’abstraction.
Nul n’aurait pu mettre en doute l’enthousiasme ou le dévouement de ce peintre en particulier pour un tel projet : il était l’un des aînés de la peinture moderne, actif dans le développement de l’abstraction au Mexique sous les auspices d’intellectuels d’influence européenne tels qu’Octavio Paz, partisan du modernisme culturel au détriment de l’imagisme nationaliste. Pour autant que je sache, le projet fut finalement concrétisé sur un autre site et sous une tournure différente par rapport au concept de départ, revêtant ainsi une portée bien plus personnalisée. Toujours est-il qu’en tant qu’image ou idée purement conjecturale, la perspective même d’implanter ce musée de l’abstraction au sein d’une geôle demeurait fascinante. D’un certain côté cependant, la possibilité de montrer l’abstraction, ou ne serait-ce que de l’imaginer, à l’aube du nouveau siècle, comme quasi-hermétiquement confinée dans les diverses ailes d’un bâtiment carcéral (même dans ce contexte localisé) peut sembler rébarbative. Il faut d’ailleurs se demander ce que signifierait le fait d’isoler l’art abstrait. Et comment organiser un tel projet ? Que classerait-on ou non comme authentiquement abstrait ? Où « commencer » et où « finir » ? Ces questions tourmentent en outre notre conception actuelle de la pratique et de l’histoire de l’abstraction, et cette proposition de « musée d’art abstrait » supposerait l’accomplissement de l’abstraction comme un projet en soi ; l’image que l’on se fait, quoique malgré soi, d’une telle « prison de l’abstraction » pourrait bien résumer ce à quoi tant de personnes ont rêvé d’échapper, depuis l’avènement de l’abstraction comme fondement du modernisme, non sans se croire avant-gardistes à coup sûr ou historiquement investies d’une mission.
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